Haïti
Haïti : l'Association ECED lance un appel aux dons
Suite au terrible séisme survenu à Haïti en 2010, Jean-Billy Mondésir, jeune animateur de la bibliothèque Monique Calixte de Port au Prince fut accueilli pendant 2 mois à la Médiathèque Eric Rohmer. Depuis ce jour la Médiathèque correspond régulièrement avec lui. Au mois d'octobre dernier l'ouragan Matthew a de nouveau frappé le pays. Jean-Billy nous décrit une situation très difficile, l'aide humanitaire tarde à venir. C'est pourquoi il lance un appel à la solidarité au nom de son association locale « Collectif debout ». Cette association tente de récupérer des fonds pour reconstruire le quartier afin que les enfants puissent reprendre le chemin de l'école." L'association collectif debout a réparé une première maison et a permis à la famille Bien-Aimé de regagner dignement sa vie normale. Nous évaluons la deuxième maison dont la réparation débutera sous peu.Nos moyens sont très limités et n'arrivons pas à recouvrir totalement les maisons" écrit Jean-Billy Mondésir.
Appel aux dons - contact : Association ECED - eced.asso@gmail.com ou 05 55 20 21 48
Regard d'un Haïtien sur Tulle
Première rencontre
Toute ville détient deux formes de dialogue : Une première très plate, récréative, sans relief qu'elle entretient avec le passant naïf, perdu dans l'admiration creuse des paysages et une autre plus profond, plus intense, plus dérangeante qu'elle entretient avec le passant attentif à la moindre cicatrice.
Ma première rencontre avec Tulle a eu lieu au Champ des Martyrs. En lisant cette plaque de bronze, je croyais entendre la voix de la ville : Passant, au soir du 9 juin 1944, dans ce coin de terre à jamais sacré, mais qui n'était alors qu'un dépôt d'immondices, furent ignominieusement enfouis 99 jeunes hommes sauvagement pendus par les S.S. de la division DAS REICH sur l?ordre du général LAMERDING. (?) RECUEILLE-TOI. SOUVIENS-TOI.
Depuis mon rapport avec la ville se change, devient de plus en plus tendre. Je la regarde de ma fenêtre, je traverse ses rues, la ville ne cesse de me parler. Un langage poignant, sublime et gorgé de dignité. Je me surprends de temps en temps en train d'amortir mes pas étant désormais conscient qu'en marchant à Tulle, je foule un haut lieu de mémoire.
Les villes sont des cumuls de blessures. A force de les soigner, l'homme obtient, on dirait, de véritables oeuvres d'art au lieu de cicatrice. Tulle se débat à éviter ce piège. Une stèle, une place publique, une plaque, une rue, la ville trouve toujours un petit coin où aménager un carré d'hommage à ses martyrs. Elle refuse que leurs mémoires s'enfouissent dans l'oubli autant que leurs corps ont été broyés par les mâchoires voraces de l'injustice et de l'absurdité.
A chaque ville son quartier des martyrs
J'ai appris à vous aimer à partir de cette page triste de votre histoire. Que cela ne vous étonne point, car je viens d'une terre si continuellement et si profondément meurtrie que le sourire y devient une arme. En Haïti nous sourions pour résister contre la haine. Occupants, nous en avons beaucoup connu. Ils ont tous laissé leurs lots de blessures incicatrisables. L'une de leurs tueries (l'une des moindres) me semble similaires au drame de Tulle :
Le 9 juin 1944, à Tulle, l'occupant, avec des critères logés dans sa petite tête, s'arrogeait le droit de choisir parmi les tullistes, ceux à qui il ne reconnaissait plus le droit d'exister.
Le 6 décembre 1929, à Marchaterre près des Cayes (ma ville natale), l'occupant a décidé de mitrailler une foule immense de paysans qui manifestaient pacifiquement contre la corvée (ou l'esclavage). Aujourd'hui cette localité est baptisée : kwamati (croix des martyrs).
La nationalité de l'occupant de m'intéresse plus ; la nationalité de l'occupant est un piège. Je ne connais pas de nation criminelle. Je ne connais que quelques malades qui se sont livrés à la servitude de la haine, de l'injustice et de l'absurdité. Plus subtilement aujourd'hui, ces malades sont transnationaux. Ils s'achètent quelques complices et quelques silences et étirent leurs royaumes sur le sang, sur la culture, sur la dignité et sur l'humanité des autres.
Engage-toi
Aux deux invitations inscrites sur cette plaque au Champ des Martyrs de Tulle : Recueille-toi. Souviens-toi, j'ajouterais une troisième. Engage-toi. Engage-toi à refuser d'être le prochain bourreau ou le prochain complice. Engage-toi à prêter main forte aux autres peuples coincés dans les méandres infernaux de l'injustice et de l'absurdité. Engage-toi à éviter la haine sans sombrer dans le confort dangereux de l'oubli. L'injustice et l'absurdité sont à combattre, d'où qu'elles viennent. Quel que soit l'arsenal de leur serviteur. Quand, abattu par le triomphe de la bêtise, tu optes pour l'abandon, pense à Jean Artel, ce jeune homme de 17 ans mort au combat, pense jusqu'où l'injustice et l'absurdité sont cruelles et impitoyables ? Et Engage-toi?
Tulle, la Corrèze et la France ne me quitteront pas.
Tulle ne me quittera pas. Tulle fait désormais partie de ces lieux qui m'habitent, ces lieux que je trimbale. Je n'oublierai pas tous ces connus(es) et inconnus(es) qui m'ont offert : un sourire, un regard doux, un mot de réconfort et de sympathie pour Haïti. Ils ne sauront jamais combien ces gestes, même simples, m'ont procuré la joie de vivre dans leur communauté. La Corrèze ne me quittera pas. Ses grandes et petites villes, ses campagnes retirées de la pollution urbaine, elles m'ont toutes accueilli avec le même amour, la même solidarité. La France ne me quittera pas. C'est le lieu de ma première rencontre personnelle et physique avec l'Occident. Ce mot qu'on ne cesse d'envoyer comme un dé et qui tombe à chaque fois sur mes pages avec un sens différent. La France m'aura beaucoup appris de ce monstre : ses richesses, son développement, ses échecs, ses quartiers populaires, ses SDF, ses travailleurs pauvres, ses souffrances et ses blessures, ses sueurs sur le poids de son passé, la honte de ce passé qu'elle cache avec une pitoyable maladresse qui laisse apparaitre ses larmes secrètes. J'ai passé deux mois à vous regarder dans les yeux, à vous dire ce que je crois être des vérités, à vous aimer, à apprendre de vous. Aujourd'hui, je rentre chez moi. Je regagne la lutte pour la reconstruction. Je vous dis au revoir et à bientôt.
Jean-Billy Mondésir
Un passant à Tulle.